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A 1h30 du coup d'envoi de cette demi-finale entre le Sporting Club de Bastia et l'Olympique de Marseille, le stade est comble. Quelques sièges sont encore disponibles en tribune Nord qui semble résister à la masse de supporters qui y sont installés. En apparence.

Mais à partir de 19h , l'inquiétude gagne de plus en plus les responsables de la sécurité, les pompiers, mais aussi les journalistes et de nombreux spectateurs qui déclarent devant la presse qu'ils éprouvent une certaine appréhension.

Certains journalistes, dont André de Rocca (chef du service des sports du Provençal), refusent de monter sur la tribune. Pour ceux déjà installés tout en haut de cette tribune Nord, la tension est palpable. Avi Assouli, envoyé spécial pour Radio France est à l'antenne : «  Je suis tout en haut sur les tribunes du stade de Furiani, au milieu des supporters. Je distingue à peine les joueurs. Ça bouge, on se croirait sur un bateau. Chers auditeurs, j'espère être là à la fin du match  ». De l'avis de tous, il en encore temps d'arrêter le match. Aucune décision n'est prise.

A 20h , les joueurs du SCB et de l'OM pénètrent sur la pelouse pour s'échauffer sous des tonnes d'applaudissements. Sous la tribune, des techniciens s'affairent à resserrer des vices et boulons... certains supporters sont effarés, constatant que des planches et des supports de la tribune menacent de tomber. «  C'est vraiment la panique  » déclare un supporter interrogé alors qu'il passe sous la tribune.

 

La composition des équipes qui auraient dû jouer ce match :

 

Cliquez ici pour voir les photos "Panini" des joueurs de l'OM

 

A 20h15 , les équipes regagnent les vestiaires. La tribune est de plus en plus instable. Certains n'osent même plus s'appuyer sur les rambardes. Jean-Pierre Paoli, le speaker du stade, est sommé par des représentants de la sécurité de calmer les supporters au micro. « Ne tapez plus des pieds !» leur demande-t-ils, pour éviter que certaines parties des gradins métalliques ne se détachent.

A 20h20 , Patrick Poivre d'Arvor conclut le journal télévisé de TF1, et va donner l'antenne à ses deux journalistes présents à Furiani, Thierry Rolland et Jean-Michel Larqué.

Il est 20h20, ce mardi 5 mai 1992, lorsque la partie haute de la tribune provisoire du stade Armand Césari bascule et s'effondre sur elle-même, entraînant avec elle plus de 2 000 personnes et les nombreux journalistes qui y avaient été installés.

Un grand bruit sourd, le silence, puis les cris

Le drame, l'horreur et la stupéfaction des milliers de spectateurs présents à Furiani sont retranscrits en direct à la télévision. Les hurlements, les plaintes des centaines de spectateurs juchés sur la tribune réduite à l'état de tubes métalliques et de tôles froissées, pliées, résonnent sur la pelouse de Furiani. Les images sont insoutenables. Les corps allongés sur le sol montrent à des millions de téléspectateurs l'ampleur du drame que vit Furiani en ce moment.

Les premiers secours s'organisent dans la panique ambiante et les joueurs qui venaient de faire leur entrée sur le terrain se pressent pour libérer les spectateurs encore jonchés sur ce qu'il reste de la tribune. Un véritable élan de solidarité s'empare du stade de Furiani. La pelouse s'est improvisée en hôpital, de même que les supporters indemnes se portent volontaires pour secourir les blessés. Michel Codaccioni, journaliste à Radio Corse Frequenza Mora, les imite : « je fais comme tout le monde, je transporte des corps. J'apprends à faire une intubation, grâce au patron du SAMU… »

 

A 21h30 arrivent les premiers hélicoptères de la Sécurité Civile et Pierre Joxe, ministre de la Défense déclenche le plan rouge aux environs de 22h. Trente minutes plus tard, malgré le déploiement des moyens de secours et de l'aide apportées au victimes, il faut déjà compter 1 mort et plus de 50 blessés.

Les hôpitaux de Corses étant saturés, l'aéroport de Poretta accueille les nombreux blessés afin de les acheminer vers le continent, à destination de Marseille et Nice, avec l'aide d'un Airbus A300 d'Air Inter réquisitionné.

A minuit, un dernier bilan pour la journée du 5 mai bilan fait état de 8 morts et plus de cents blessés et déjà, des voix s'élèvent pour dénoncer le scandale et faire apparaître les premières responsabilités des autorités, du club, de la société ayant réalisée l'ouvrage.

Le lendemain matin, le mercredi 6 mai 1992 , la Corse ne vit plus mais le scandale apparaît clairement aux yeux de tous. Comment a-t-on pu laisser jouer cette demi-finale ? Pourquoi n'a-t-on pas pris toutes les mesures de sécurité pour assurer la tranquillité des spectateurs ?

Déjà, les premières déclarations se multiplient. Certains s'exonèrent immédiatement de toutes responsabilités comme Jean Fournet-Fayard : «  Cet après-midi encore, la Fédération avait pris toutes les précautions nécessaires pour s'assurer la solidité des installations à Bastia. Tout devait bien se passer […] », et il s'interroge même «  pour savoir quand cette demi-finale aura lieu.  » Pour Noël Le Grat, président de la Ligue Nationale de Football, il s'agit «  d'un malheureux accident.  ».

Mais déjà, la presse dénonce et fait apparaître les premiers dysfonctionnements qui ont conduit à l'effondrement de la tribune. Jean-Michel Larqué, journaliste à TF1, s'insurge : «  Je suis écœuré, dégouté. Il y a une dérive incontrolée du monde du football. Quand Le Graet dit que c'est un accident malheureux, je dis non, c'est un accident scandaleux. C'est une accumulation d'erreurs. Il n'y a qu'à voir les incidents qu'il y a eu au tour précédent de cette Coupe de France. Tout est lié. […] C'est une ambiance générale qui fait que le football vit dans une ambiance de drame.  »

Le 7 mai , commence les premières constatations et la presse continue ses révélations. L'Equipe indique que la société Space, contactée dès le 24 avril (voir ici), avait refusé le marché proposé faute de temps, par mesure de sécurité. Pour le PDG de Sud Tribune, Alain Giordanengo, l'accident est « totalement incompréhensif ».

Deux instructions sont ouvertes le même jour. La commission d'enquête est composée d'inspecteurs généraux des ministères de l'Intérieur, de la jeunesse et des Sports et de l'Equipement. L'enquête judiciaire débute le 8 mai .

Pendant ce temps, la Corse vit toujours le drame et les images du 5 mai sont bien sûr toujours présentes. Les obsèques des premières victimes se déroulent, celle de Mme Marie-Laure Guerrieri, et de Mlle Santa Grimaldi, lycéenne agée de 15 ans. Le bilan n'est toujours pas définitif : il fait état pour l'instant de 11 morts et plus de 1 000 blessés.

Le Monde publie un entretien réalisé avec Jean-François Filippi. Le président déclare que la prise de contact et l'obtention du marché pour la construction de la tribune métallique s'est conclue par «  un simple accord verbal au téléphone  », «  sans signature de contrat  ». Quant à l'augmentation du prix des billets, « c'était pour la sécurité et pour la fête ».

Du coté de l'OM, par l'intermédiaire de Bernard Tapie, on refuse de jouer un match de solidarité pour les victimes le 12 mai et le club propose de jouer la demi-finale sur terrain neutre. La FFF tranche et décide d'annuler la 75 e édition de la Coupe de France. C'est la première fois dans l'histoire du football français que la Coupe ne sera remise à aucun club. La Coupe de France 1992 ne connaîtra jamais de vainqueur.

Le 9 mai, c'est la journée Isula Morta à la mémoire des victimes de la catastrophe de Furiani. Les obsèques de 4 autres victimes de la catastrophe de Bastia se déroulent à Bastia : MM. Cédric Lalliat, Lucien Marsican, Michel Mottier et Antoine Angelini.

La polémique sur l'absence de garantie et sur le manque de sécurité ne cesse de gonfler, et les déclarations continuent de s'intensifier, demandant parfois même la démission du président de la FFF comme François de Montvalon, journaliste à France Football «  Alors ? Alors il reste à Jean Fournet-Fayard une décision à prendre. Doucement. Ou dans un dernier bruissement.  » D'autres dénonce le manque de moyen et la vétusté des installations de Furiani : «  Ce n'est pas un hasard non plus si la tragédie a révélé à la manière la réalité d'une Corse où rien n'est trop beau pour les marinas quatre étoiles, mais où les moyens manquent pour construire une route, moderniser un équipement, soigner des blessés. Au nom de quoi une ville de football comme Bastia n'aurait pas le droit à un stade digne de ce nom ?  » s'interroge Laurent Chasteaux, journaliste à l'Humanité.

Le dimanche 10 mai , le bilan de la catastrophe de Furiani s'alourdit. MM Patrick Rao et Thierry Giampietri décèdent de leurs blessures à Bastia. Les obsèques de Guy Brunel ont lieu dans le Tarn.

Le lendemain, Eugène Bertucci, maire de Furiani, déclare à la presse qu'aucune demande concernant la construction de la tribune ne lui a été faite. Ayant eu connaissance de l'avis favorable de la commission de sécurité, il n'a pas pris de mesures d'interdiction.

Le 14 mai , Pierre Guidicelli, technicien à RCFM décède à la suite de ses blessures à Marseille.